Mes pieds s’arrêtent soudainement, sans avertissement après avoir franchi le sentier des écorchés.

J’aime que mon cœur batte tellement rapidement, qu’il semble vouloir s’extirper de ma cage thoracique.

J’aime que mes poumons soient brûlés par la froideur des temps incertains.

J’aime que l’eau salée remplisse mes yeux assoiffés.

Mon corps a su avec le temps comment oublier ce qui est douloureux.

Me voilà arrivé devant le wahsipikuk, le fleuve Saint-Laurent, celui qui m’a vu naître et grandir. En me laissant imprégner par sa beauté je traverse mes secrets à chaque vague qui se fracasse sur la carcasse des rochers oubliés. Mon regard est hypnotisé par les premières glaces d’hiver en perpétuel mouvement qui s’éloigne sans dire pourquoi. J’ouvre la bouche et je regarde vers le ciel pour y attraper les quelques flocons qui se laissent désirer comme un enfant trop longtemps abandonné.

Qui es-tu?

Je suis l’homme coureur. On me nomme ainsi parce que je suis l’ombre de l’ours, le pas pesant du caribou des années passées.

Je suis l’homme coureur qui sait parler aux animaux. Je suis celui qui traverse le territoire à la course sans regarder derrière lui, à la recherche du beau, de l’extraordinaire, de l’humilité et de l’authentique.

Je suis l’homme coureur du passé et du présent. C’est le don de mes ancêtres. Je cours pour oublier le temps. Je cours pour me pardonner, je cours pour me reconstruire, me forger une nouvelle vie qui me redonnera l’honneur des grands-chausseurs wolastoqey.

Qui es-tu?

Je suis celui qui court pour sa survie, pour remplir son esprit. Sans la course, je ne suis qu’un humain sans âme. Un autochtone sans identité.

J’entends encore cette voix me dire: «Que fais-tu ici?»

Je suis ici à espérer.
Je suis ici devant l’eau, à rêver que je cours sans m’arrêter pour un jour pouvoir peut-être pardonner.